Une filière économique réelle, néanmoins fragile !

Dans la crise globale traversée, la filière musicale connaît un développement réel, mais elle est également touchée par des phénomènes de concentration inédits dans les industries culturelles comme dans le spectacle vivant. Le déploiement de projets artistiques sur les territoires devient de plus en plus difficile. Les soutiens publics se font moins disponibles et se concentrent également sur certaines structures institutionnelles.

L’équilibre de l’écosystème est donc très fragile. Les capacités d’investissement se réduisent. La prise de risque également. Les nombreuses petites structures, indispensables à la vitalité artistique, citoyenne et économique des territoires, sont les premières touchées par les difficultés financières : les salles de concerts, cafés, et festivals ouverts à l’émergence de nouveaux talents, les entreprises qui portent le développement des projets artistiques qu’ils soient labels, tourneurs, ou managers, les collectifs, les studios, les écoles de musiques, les médias,…

Leur vulnérabilité se mesure par les marqueurs de précarité liés à l’emploi : des niveaux de salaires plus bas que la moyenne et des équipes réduites pour réaliser des objectifs pourtant revendiqués largement. Ces manques sont compensés par un recours aux emplois aidés, par des temps partiels subis, et par une forte polyvalence des postes. Cela ne permet pas de mobiliser des compétences nouvelles issues d’autres secteurs, d’autres expériences, et génère un turn over important des personnes et des actions. Des projets disparaissent chaque année. Ils sont remplacées par de nouveaux, portés par des acteurs motivés certes mais toujours plus fragiles. L’impact sur l’emploi est réel, ce qui n’est pas sans conséquences pour les bénéficiaires directs ou indirects, les populations, les artistes, le tissu économique et social de nos territoires.

Aujourd’hui, il est absolument nécessaire d’accompagner la prise de risques, soutenir les démarches solidaires, épauler l’entrepreneuriat, encourager la coopération entre entre initiatives privées et initiatives publiques.. Face à des enjeux inédits, la filière musicale que nous fédérons fait preuve d’une grande maturité, et démontre sa capacité d’innovation. Les acteurs se sont organisés au niveau national au travers des fédérations et syndicats. Sur les territoires, malgré les différences de statuts, de légitimité, de fonctionnement, malgré les concurrences potentielles, ils sestructurent au sein d’espaces de dialogue et de concertation permanents, les pôles et réseaux régionaux. Ils se dotent également d’outils d’observation partagée. Ils défrichent des terrains moins connus et trouvent des potentialités de développement sur les questions économiques, sociales ou environnementales.

Les musiques actuelles un atout pour participer à l’évolution des politiques publiques !

En quelques décennies, les musiques actuelles se sont vus progressivement reconnaître d’abord par les collectivités territoriales, puis par l’Etat. Même si leurs prises en compte restent encore largement en deçà d’autres disciplines artistiques considérées comme plus « légitimes », le soutien public aux musiques actuelles signe leur intégration aux politiques publiques – une reconnaissance à la fois recherchée mais aussi redoutée par les acteurs toujours soucieux de leur indépendance. Force est de constater qu’ainsi notre secteur a pu largement se professionnaliser ces dernières années, et qu’il bénéficie aujourd’hui de nombreuses compétences. L’enjeu, pour nos partenaires, l’Etat et les collectivités, est de trouver les leviers permettant de mobiliser ces compétences pour faire face aux défis auxquels collectivement nous sommes confrontés.

La liberté d’expression, l’exercice des arts, l’éducation artistique et culturelle sont des enjeux majeurs auxquels nous, acteurs de la filière musicale, sommes attachés. Préserver des politiques culturelles ambitieuses est absolument nécessaire, et pour ce faire, il faut être prêt à les rénover, à les adapter à la réalité des modes de vies et aux attentes actuelles des populations. Il est essentiel aujourd’hui d’imaginer des dispositifs vertueux qui permettent d’irriguer l’ensemble des territoires, en s’appuyant sur des écosystèmes de proximité. Il est aussi essentiel de rendre toujours plus effective la solidarité et la coopération au sein même de notre secteur. Ce travail ne peut se faire que dans la confiance, le dialogue et la réciprocité, en mettant en place des outils de concertation, d’observation et de diagnostic partagé. Nous nous sommes déjà engagés dans ces démarches avec nos partenaires publics, à travers les Solima*, et d’autres processus de concertation territoriale ou de co-construction qui nous semblent indispensables pour  décloisonner, sortir des habitudes et penser les transversalités.

Les défis auxquels sont confrontées nos entreprises sont de natures extrêmement différentes. Répondre à des aspirations sociales, artistiques et culturelles en mouvement constant, explorer de nouvelles activités, construire des modèles économiques, trouver des formes d’organisations adaptées, s’adapter aux enjeux numériques et environnementaux, adopter des pratiques responsables vis-à-vis de leurs publics, usagers, clients, bénéficiaires, de leurs salariés et de leurs partenaires,… Notre filière musicale doit franchir aujourd’hui une nouvelle étape de son développement. Les expérimentations doivent être nourries. Les expériences doivent se confronter. La filière, et son réseau de compétences, doit de ce point de vue être animées et accompagnées. Nos enjeux sont au carrefour de nombreuses politiques publiques : économiques, sociales, environnementales, sanitaires, éducatives, de jeunesse, de coopération internationale, de tourisme, d’attractivité… Des passerelles doivent continuer d’être construites. Des articulations trouvées. Des transversalités favorisées, à tous les niveaux. Du fait de leur histoire spécifique, les musiques actuelles portent en elles une véritable culture de la coopération et de la co-constrution, ingrédients indispensables pour élaborer avec les collectivités et l’Etat, de nouveaux possibles pour les populations en matière culturelle.

 


(*) Colima : Schéma d’Orientation pour le développement des Lieux de musiques actuelles